Dans le domaine de l'exploration spatiale, le choix des sources d'énergies est un élément essentiel afin de répondre à des problématiques cruciales que sont l'alimentation électrique constante et viable sur des sites d'implantations ou encore l'optimisation des systèmes de propulsion rapide et efficace vers des destinations lointaines.
Si l'énergie solaire est une option, les conditions particulières de certaines missions rendent le recours à l'énergie nucléaire incontournable. Que ce soit sur des planètes éloignées comme Mars, où la poussière peut obscurcir les panneaux solaires, ou au-delà de l'orbite de Jupiter, où la luminosité solaire diminue drastiquement, les techniques nucléaires se positionnent comme des solutions incontournables.
Les générateurs thermoélectriques à radioisotope (RTG), utilisés dès 1960, s'imposent ainsi comme le choix privilégié pour l'alimentation énergétique spatiale.
En utilisant des matériaux radioactifs comme le Plutonium 238, les RTG convertissent la chaleur générée par la radioactivité en électricité via des thermocouples.
Les générateurs à isotope ne fonctionnent pas comme les centrales nucléaires. Ces dernières créent l'énergie à partir d'une réaction en chaîne dans laquelle la fission nucléaire d'un atome libère des neutrons, qui à leur tour entraînent la fission d'autres atomes. Cette réaction, si elle n'est pas contrôlée, peut rapidement croître de façon exponentielle et causer de graves accidents, notamment par la fonte du réacteur.
À l'intérieur d'un générateur à isotope, on utilise seulement le rayonnement naturel du matériau radioactif, c'est-à-dire sans réaction en chaîne, ce qui exclut a priori tout scénario catastrophe. Le carburant est de fait consommé de façon lente. Cela produit moins d'énergie, certes, mais cette production se fait sur une longue période.
Bien que leur efficacité soit modérée (de l'ordre de 10 % uniquement), la stabilité de ces générateurs sur des décennies en fait des partenaires idéaux pour des missions de longue durée. Ces générateurs thermoélectriques à radio-isotopes ont déjà été largement utilisé dans la conquête spatiale notamment sur les sondes Pioneer, Voyager, ou Cassini-Huygens.
Un autre domaine du spatial devrait, dans la décennie qui vient, voir arriver de nouvelles technologies basées sur le nucléaire : la propulsion spatiale.
Dans ce domaine, le principe est toujours le même : projeter le plus vite possible la plus grande quantité possible de matière d’un côté pour générer une force qui propulse le vaisseau dans la direction opposée. C’est le célèbre principe d’Action-Réaction.
Obtenir un système de propulsion nucléaire efficace permettrait de réduire considérablement le temps de trajet vers des destinations comme Mars. Un voyage plus rapide rendrait non seulement les missions plus réalisables sur le plan logistique, mais réduirait également l’exposition des astronautes aux rayonnements spatiaux nocifs. De plus, l’énergie nucléaire pourrait offrir un approvisionnement électrique constant, facilitant le développement d’environnements propices à l’habitation humaine à long terme, comme sur la Lune.
Actuellement, les systèmes de propulsion se déclinent en deux technologies : la propulsion chimique et la propulsion électrique (ionique), avec pour chacune des avantages et des inconvénients.
La propulsion chimique conventionnelle utilise des ergols dont la combustion projette de grandes quantités de gaz chauds, responsables d’une poussée très importante, mais très limitée dans le temps (de l’ordre de la dizaine de minutes au maximum). De plus, elle nécessite d’embarquer d’énormes quantités de carburant qui alourdissent elles-mêmes le vaisseau, nécessitant d’utiliser plus de carburant… pour propulser ce carburant.
À l’inverse, la propulsion ionique consiste à accélérer un gaz ionisé entres des grilles électriquement chargées. La vitesse de sortie des particules ne dépend plus d’une réaction chimique particulière mais de l’intensité du champ électrique que l’on crée.
La vitesse des particules est potentiellement beaucoup plus élevée, ce qui permet de réduire drastiquement la quantité de carburant utilisée. Un moteur ionique utilise une centaine de grammes de carburant par jour, là où la fusée Ariane consomme plusieurs centaines de tonnes d’ergols par seconde. Cette propulsion ionique est plus efficace et peut être utilisée de manière continue pendant plusieurs semaines, ou plusieurs mois, d’affilée.
L’inconvénient : elle génère une poussée extrêmement faible (quelques newtons au maximum), ce qui impose de grandes contraintes sur les types d’appareils sur lesquels elle peut être utilisée.
La propulsion nucléaire thermique, quant à elle, consiste à utiliser un fluide propulsif (de l’hydrogène, par exemple) et le réchauffer en le faisant passer dans le cœur d’un réacteur nucléaire. Il peut ensuite être expulsé à grande vitesse, en grande quantités, pour propulser le vaisseau. En termes d’efficacité, la propulsion nucléaire se situe entre la propulsion chimique et la propulsion ionique, permettant, en théorie, une vitesse d’éjection des gaz très importante, tout en supportant des temps de poussée très longs.
L'avenir de la propulsion / alimentation nucléaire spatial s'annonce ainsi prometteur, d'autant plus que de nombreux acteurs industriels français rivalisent d'innovations dans les domaines du développement de générateurs thermiques à radio-isotopes avancés ou encore la production de SMR (Small Modular Reactor) petits réacteurs modulaires à neutron rapide.
L’un des problèmes principaux dans le développement de ces technologies spatiales basées sur le nucléaire est bien entendu l’aspect sécurité et sociétal. Il est relativement facile aujourd’hui de construire des RTG dont les petits palets radioactifs sont protégés par des couches successives assurant un bon transfert thermique tout en résistant au mieux à des évènements comme la destruction du lanceur au décollage ou à une rentrée atmosphérique incontrôlée.
Par contre, il est difficile, en l’état du développement des futurs moteurs à propulsion nucléaire, d’établir comment ce genre d’engins bien plus gros et complexes pourraient assurer un même niveau de sécurité.
Un des principaux risques liés à un moteur nucléaire réside dans son lancement. Il faut en effet le placer lui et son combustible radioactif sous la coiffe d'une fusée or les fusées peuvent exploser, ce qui présente le risque de former une sorte de bombe sale involontaire en cas d'échec du lanceur. Un tel événement serait une catastrophe industrielle, écologique et politique. C'est probablement l'aspect qui semble le plus complexe à débloquer pour réellement bénéficier de l'énergie d'un réacteur nucléaire dans l'espace.
De ce côté, on observe cependant des développements encourageants. Certains lanceurs américains sont en train de devenir extrêmement fiables. La famille Falcon de Space x vient de passer le cap des 200 missions d'affilée sans échec, du jamais vu dans le spatial.
En parallèle, la manière dont on conçoit le combustible nucléaire est aussi en train de changer pour devenir plus sûr. La NASA travaille ainsi sur la fabrication d'un nouveau type de combustible nucléaire dans lequel des petites billes d'uranium sont enveloppées dans de la céramique. Ces billes sont ensuite réunis dans une matrice en carbure de silicium. Le carburant ainsi produit à l'avantage d'être stable. En cas d'accident, une explosion de fusée par exemple, la contamination pourrait être limitée car chaque particule individuelle d'uranium possèderait sa propre enveloppe étanche en céramique. Certaines d'entre elles pourraient éventuellement être brisées mais une partie significative d'entre elles pourrait aussi survivre à une explosion, réduisant ainsi grandement l'impact d'une explosion au décollage.
Avec une fusée à la fiabilité exemplaire comme la Falcon 9 et un carburant fissible pensé pour la sécurité, les peurs associées à l'envoi d'un réacteur en orbite deviennent moins tangibles. Elles existeront toujours sur le plan politique mais en pratique elles seront fortement réduites.
Ces différentes étapes devront ainsi être dépassé si l’on veut développer ce genre de nouvelle technologie de propulsion spatiale et atteindre la planète Mars en bien moins de temps qu’on ne le fait aujourd’hui.
Dans cette course vers l'infini, où chaque seconde compte, l'alliance entre l'énergie nucléaire et l'espace promet d'ouvrir de nouvelles frontières, offrant ainsi des perspectives passionnantes pour l'avenir de l'exploration spatiale.
A suivre donc ....
Source:
L’utilisation du nucléaire dans l’exploration lointaine de l’espace - Pierre Henriquet, docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights.
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